Aujourd’hui et pour de longues années à venir, nous allons tenter de panser notre peine. Nous témoignons des ravages de l’intégrisme, de la destruction engendrée par la haine. Cette histoire triste, est malheureusement vraie. Qu’elle puisse au moins servir d’exemple, car nous nous devons d’apprendre de nos erreurs.
C’est le combat de mes courageux parents, qui semble avoir commencé il y a une éternité. Puisse-t-il servir de leçon, et empêcher d’autres Quentin de partir et de mourir pour rien !
À travers les yeux d’un grand frère dépassé, de part ces quelques mots, je tente d’y participer aussi.
Pour reconstituer une histoire, il faut un point de départ. Ici, cet aperçu de vie se raconte par une succession de départs.
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Le 15 Avril 1992
Bonjour petit bonhomme ! Tu vois le jour, et ta petite famille n’attendait que toi. Une maman, un papa, et un grand frère, que demander de plus ? C’est un jour de fête, et le restera pour au moins deux décennies.
Tu vas grandir, t’épanouir dans l’amour et dans la joie, le sport et la musique. Notre petite maison à Sevran est vivante, emplie de livres, d’instruments de musique, de tableaux, on ne manque de rien.
Tu te montres vite très énergique, rapide, actif. Très tôt, le foot devient une pierre fondatrice de ta vie. Pourtant, il te manquera toujours un peu de confiance, et la chance, pour faire d’un rêve d’enfant, ton projet de vie.
Tu as aussi ces peurs, ces angoisses, ces cauchemars qui t’empêchent de dormir. Mais ce n’est pas ça qui va t’arrêter en si bon chemin. Après tout, ce n’est surement qu’un passage de l’adolescence.
Dans la vie, on te connait dans un premier temps timide, puis drôle, malicieux et atrocement gentil. Ce n’est pas pour rien que tu es extrêmement attachant. Qui n’aime pas le joyeux Quentin Roy ?
D’ailleurs, tu plais, y compris aux femmes, c’est plutôt bon signe pour la suite. Après avoir obtenu ton BAC S à 18 ans, ton permis peu de temps après, tu te lances dans les études supérieures (Prépa Kiné, STAPS). Très vite, tu construis une relation sérieuse avec ta copine, vous formez un très beau couple, la famille Roy s’agrandit.
Bref, tu as bien grandi !
Septembre 2012
Tu es fier, tu veux nous annoncer quelque chose. Ça y est, tu as trouvé la réponse à tes questions. Pourquoi vit-on sur Terre ? que devons-nous y faire ? Le sourire aux lèvres, un peu stressé, tu nous annonces soulagé que tu t’es converti à l’islam. Alors on l’accepte, car comme tu nous l’indiques c’est un choix intime, et ça ne changera rien à notre relation. Nous voilà soulagés, peut-être est-ce ta voie ? toi qui a toujours eu besoin de croire.
Les débats animent notre famille. Par exemple, « Quelles sont les preuves de l’existence de Dieu ? ». Ça vous fait une belle discussion sans fin, surtout entre deux forts caractères, l’un croyant, l’autre non.
Tu as raison pourtant, ces différences relèvent de l’intime et il faut se respecter. Elles ne changent rien entre nous, car on s’aime et c’est l’important.
Le 10 Avril 2013
Mamie Poussette est partie, il faut lui faire nos adieux. La fin a été difficile pour elle, et malgré la présence quotidienne de Papa pour s’occuper d’elle, ses derniers mois furent douloureux, pour nous.
Le jour de la cérémonie, tu es en retard. Tu n’arrives pas à trouver l’église depuis la gare. Un peu excédé, je sors de l’église, décidé à venir te chercher, avant de te voir à moitié caché, adossé contre le mur de celle-ci, en pleurs. « Qu’est-ce que tu fous bordel ? ». Tu baisses les yeux, et me dis, « Je ne peux pas entrer … pas pendant que les gens prient … je suis désolé ». Durant 15 minutes, je tente tout pour te convaincre, mais non rien n’y fait, tu n’as pas le droit ! J’y retourne seul, avec une peur qui monte en moi, une incompréhension qui me hante encore aujourd’hui. C’est un tournant, celui ou pour la première fois, tu fais un choix entre la religion et ta famille.
Le 22 Septembre 2014
Ta vie a bien changé petit frère. Il y a encore quelques années, tu respirais la vie.
Durant ces derniers mois, tu as arrêté tes études, tu t’es séparé de ta copine, et après avoir enchaîné les petits boulot tes objectifs te paraissent inaccessibles. Et puis, il y a ce reflet triste dans ton regard. Pourtant tu souris, mais les yeux ne savent pas mentir. On a passé un week-end ensemble, sans savoir que c’était le dernier. « Tu viens me voir à Lausanne après ton aller-retour en Allemagne ? », « Oui on verra » me répond-il. Tout allait bien entre nous, et cette accolade le dimanche soir avait le goût de revoyure, pas d’un adieu.
Le 20 Octobre 2014
En 2 mois, nous n’avons reçu qu’un message, d’une voix tremblante: « Ne vous inquiétez pas …je suis parti aider des gens … on ne m’a pas enlevé… je vous aime ….je vous rappelle bientôt ». On ne comprend pas grand chose, mais on sait que c’est grave. Tu n’es pas parti en Allemagne, 10 jours pour trouver une voiture, tu viens de faire la plus grosse connerie de ta vie !
Tu nous annonces, par un simple mail, les raisons pour lesquelles tu as décidé de rejoindre le Califat, pour vivre ta religion. On tombe de très haut. Au fond de moi, un lien se brise, un retour en arrière semble impossible.
Commence alors un combat, entre Salih, le croyant qui craint Dieu, et Quentin qui aime encore les « mécréants » que nous sommes selon tes gourous. Parfois, on pense parler à quelqu’un d’autre, à un robot qui répond par des sourates. Il arrive que tu nous envoies une photo, pour montrer que tu vas bien, mais les yeux ne mentent toujours pas ! Les contacts sont rares, les absences longues.
Avec moi, c’est plus compliqué. Je pense qu’on est de plus en plus fâché, les débats ne se terminent plus par une accolade, la distance n’aide pas. J’ai tout tenté pour te faire changer d’avis, jusqu’à te brusquer. Pourtant, après plusieurs mois sans réponse de ta part, tu te re-manifestes, comme pour ne pas laisser éteindre la flamme de l’espoir.
À chaque période de silence on oscille entre peur et espérance. Rien n’y fait, tu prends soin de donner de tes nouvelles et de rassurer tes parents, mais tu ne peux pas revenir.
Le 31 Janvier 2016
Toute la famille, ou presque, est présente. Pour ce dernier hommage, l’église est parfaitement remplie, à la place près. C’est une très belle cérémonie, tu aurais adoré la musique, du moins quand tu l’écoutais encore. Et oui, ça fait partie des choses que tu as progressivement mises de côté, la peur divine n’a jamais aussi bien porté son nom.
Alors on chante, on pleure, on s’embrasse, on t’adresse nos derniers discours, mais tu n’es pas là. Deux semaines plus tôt, nos parents ont reçu un message WhatsApp qui nous annonce le pire. C’est fini, et les larmes n’en terminent plus de couler.
Le 15 Avril 2016
Frangin, aujourd’hui on devait fêter tes 24 ans. C’était l’occasion de t’organiser une petite surprise, avec ta copine, tes amis, nos parents, notre famille, tous les gens qui t’aiment. On aurait pu même improviser un petit week-end au ski ? Mais depuis cette année, on sait qu’on passera cette journée sans toi, définitivement. Avec le temps, qui sait, on arrivera à rendre ce jour joyeux à nouveau. En attendant, on va se remémorer les 15 Avril du passé, car sur 24 on aura eu au moins 22 belles années.
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Signé, un grand frère, une famille, des amis qui pleurent, et qui s’efforcent de rester debout.